Logan est-il vraiment un film de super-héros au sens Marvel du terme ? Si l’on tient compte du traitement apporté par son réalisateur James Mangold, la réponse est non.
Néanmoins, Logan assume son personnage – il serait temps, vu qu’il s’agit du troisième opus sur Wolverine – en nous décrivant avec brio la déréliction du super-héros comme le syndrome d’un monde en devoir de se trouver de nouvelles icônes.

Le monde post-apocalyptique tel qu’il est présenté – nous sommes en 2029 – devient l’écrin idéal pour la légitimation d’une violence sourde, inéluctable, presque nécessaire. Dès le commencement, l’hallali résonne. Aucune échappatoire, ni de happy-end irraisonnable. L’approche rassure, confortée par une trame narrative construite comme un écho à rebours d’une mort annoncée. Voilà pourquoi l’ADN Marvel, comme des X-Men, fuite au compte-gouttes, dans cette ordalie autour de son acteur historique, Hugh Jackman. En effet, les deux destins sont liés et la figure héroïque comme seul représentant valable d’un anti-héros au bout du rouleau, vacille pour mieux nous atteindre. En partant de ce postulat, Hugh Jackman n’aura jamais été aussi touchant, aussi juste, aussi Wolverine.
Si l’histoire développée d’un point de vue événementiel, pour ne pas dire scénaristique, ne séduit pas complètement, le film assume sa trajectoire intimiste afin de mieux redéfinir la singularité d’un personnage à la puissance tragique imparable. Comment, en effet, pourrions-nous nous détourner de ce Logan et valider le recours contestable d’une adversité de pacotille incapable de faire exister Wolverine par effet de contrepoint. De la même façon, il nous paraît dérisoire d’analyser une telle proposition filmique sous l’angle unique de la confrontation où seule la justice des “bons” triompherait.
Les héros ont disparu. De fait, Wolverine semble embrigadé dans sa propre antériorité, elle-même constamment rappelée par un état physique déplorable et à des années-lumière du héros sauvage qu’il fut. En assumant cette réalité, James Mangold conditionne la redéfinition de la figure du super-héros dans une brume de nostalgie très cinématographique, à défaut d’être absolument pétaradante. Si nous sentons, çà et là, la tentation de réveiller la fureur originelle du mutant griffu, le réalisateur préfère détourner l’ordre établi pour façonner un drame crépusculaire animé par le jeu des postures.
Dans Logan, tout est organique, physique, ressenti, enduré, douloureux, sacrificiel. La posture prend forme en rébellion du héros attendu – c’est-à-dire pour ce qu’il est dans sa caractérisation propre – afin qu’il devienne autre chose. Cette autre chose, ici dans Logan, penche invariablement vers cette mythologie mémorielle qui aurait, en toute logique, l’aspect de la figure archétypale du vieux cowboy solitaire des westerns post âge d’or Hollywoodien. D’ailleurs, vous ne trouverez aucune référence aux comics (c’est même le contraire) mais bien envers cet anti-héros ambivalent que l’interprétation très “Eastwoodienne” de Jackman renforce encore un peu plus.

Par ce choix plutôt osé dans la production actuelle de blockbusters aussi insipides, qu’inoffensifs, le metteur en scène n’essaye pas de réactualiser un Wolverine qui se laisse de toute évidence dévorer par sa propre légende. Et c’est là où réside la grande force d’un film testament ne cédant jamais vers la caricature facile d’un Logan de moins en moins Wolverine. La scène, fort réussie, où des enfants mutants s’amusent à redonner à Logan son “look” d’antan pour que celui-ci corresponde au vrai Wolverine – celui des comics –, ne dit pas autre chose.
Oui, Logan se meurt durant tout le film. Oui, il accomplira une dernière fois son devoir. Mais, au bout du compte, le temps aura fait son affaire comme il aura assuré la décrépitude d’un monde orphelin d’espérance. Touché dans sa chair par sa propre mutation, Logan erre comme une âme en peine en demande de rédemption. La mort du Professeur Xavier, concomitant avec le sort des enfants mutants, lui donnera l’occasion de choisir sa fin et d’offrir un semblant de liberté dans un monde où le temps est compté.
J’ai parlé plus haut de drame crépusculaire. En effet, Logan n’existe que pour cette raison en se faisant le représentant d’un monde déchu, d’une époque révolue, d’une croyance tarie. Mais le mythe, lui, toujours demeure, comme une empreinte indélébile d’un anti-héros ultra charismatique en phase avec la lecture populaire et sociologique des Comics.
Avec Logan, James Mangold ne cherche pas à réinventer un Wolverine 2.0 ou à relancer la franchise en accommodant la psychologie du personnage vers une forme de modernité de façade. Il laissera cela à d’autre, dès que le studio sera préoccupé à rebooter la franchise.
Le réalisateur préfère, et de loin, questionner la figure classique du super-héros dans sa dimension morale faisant de ce type de pouvoir, plus une malédiction qu’un don du ciel. La question de l’aberration d’une mutation se déplace pour aller questionner celle, plus éthique, de la légitimité de prodiguer le bien en commettant des meurtres.
Si les héros disparaissent un jour, ils ne meurent vraiment jamais.
Geoffroy Blondeau
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Logan, un film de James Mangold
USA. 2017. 2h17