Ma fille, scolarisée en CM2, a suivi au même titre que ses camarades de classe un skipper tiré au sort lors du dernier Vendée Globe. En dehors de l’intérêt humain, cartographique et sportif d’une telle course en solitaire à travers les mers du monde, j’ai été bluffé par l’engagement d’une jeune « citadine » de 10 ans soudainement captivée par le parcours de son skipper alors qu’elle n’y connaissait rien avant cet exercice au long cours proposé par son institutrice.
L’évasion aventureuse comme point d’horizon remarquable et singulier, renforcée qui plus est par ces temps de pandémie où nos libertés sont pour le moins réduites, lui a sans doute donné une bouffée d’oxygène autour d’un nouveau centre d’intérêt renforcé, il est vrai, par le côté participatif qui en ressortait. L’héroïsme incroyable de ses femmes et de ses hommes lui a ouvert, à elle comme à moi, un champ des possibles salvateur qui a été consolidé, qui plus est, par le sauvetage miraculeux de Kevin Escoffier. Quelle belle initiative, en effet, que d’avoir pu suivre le périple de ses baroudeurs des mers. Après avoir parcouru par procuration son premier Vendée Globe, nous avons prolongé ensemble cette belle aventure en regardant le film documentaire Tabarly de Pierre Marcel…

Dix ans après la triste disparition d’Éric Tabarly en mer d’Irlande en 1998, son épouse Jacqueline – présidente de la fondation Tabarly –, le producteur Jacques Perrin et le réalisateur Pierre Marcel décidèrent de monter un film documentaire en hommage au navigateur discret qui fit redécouvrir la mer à la France entière. D’une réussite incontestable, le film s’attache à retracer la vie du marin à partir de ses nombreux exploits sportifs. Cet amoureux de la mer et des bateaux est présenté de façon ingénieuse puisque que c’est Tabarly qui parle de Tabarly à partir d’images d’archives souvent inédites proposées en continu.
Ce choix narratif, loin d’être anodin, permet à Pierre Marcel d’établir une relation particulière entre le spectateur et Tabarly. Jamais en creux, le long métrage ne s’accommode pas d’une voix off interprétative, mais réutilise celle radiophonique – parfois entrecoupée d’interviews télévisuelles – de Tabarly lui-même. Pendant que nous voguons auprès du marin en action sur ses différents bateaux, sa voix, reconnaissable entre mille, exprime un caractère discret, tranché, mais attachant qui nous guide afin de nous expliquer l’attrait irrépressible de cet appel au large. Comme une évidence l’action prend le pas sur la parole, les gestes supplantent les mots et l’histoire hors du commun de cet homme se révèle pour nous toucher profondément.
Linéaire, Tabarly focalise la quasi-totalité de son développement autour de sa relation à la mer, aux bateaux et à la compétition. Se fut sa vie, c’est le propos du film. L’homme était un marin au long cours, épris de vitesse et de liberté. Il n’aimait ni la gloire ni la médiatisation. Pourtant ce qu’il a accompli ne pouvait être ignoré. Mieux, il révolutionna ce sport et inspira de nombreux navigateurs français fascinés par l’écume de ses exploits. Alors oui, il faut aimer un peu la mer, se forcer à comprendre l’entreprise d’un tel personnage et se laisser tanguer par les images d’un monde à part. Si tel est le cas, l’âme de Tabarly vous accompagnera au détour d’une innovation technique, d’une traversée en solitaire, d’un dépassement de soi, d’une surprise au bout du petit matin bluffant plus d’un journaliste.

Pierre Marcel ne s’est pas trompé et son documentaire arrive à saisir la psychologie d’un homme qu’il n’a jamais eu l’occasion de rencontrer. De là, il ne peut occulter la relation quasi affective qu’il entretenait avec le bateau de son père, le Pen Duick – « petite tête noire » en breton du nom de la mésange à tête noire –, que celui-ci lui légua en 1952 ; son sens de la mer et de la course au large ; son image d’ambassadeur de la voile de compétition et du courage dans les épreuves en solitaire ou en équipage.
En refusant d’inclure des témoignages qui auraient été, certes, de beaux panégyriques, le cinéaste se protège du trop et dessine sur l’eau un insaisissable Tabarly. Garder à tout prix le mystère et promouvoir l’homme uniquement par ses inventions et ses faits d’armes. Car que dire de plus que ce que nous dévoile Tabarly lui-même ? Rien ou peut être insister encore et toujours sur la symbiose parfaite d’un marin aventurier avec ses Pen Buick glissant toutes voiles dehors sur les mers du monde. Vingt-trois après sa disparition, celles-ci portent toujours le sillage de ses nombreux passages.
En regardant avec ma fille ce beau documentaire, j’ai éprouvé une sensation incroyable d’admiration pour un homme que je ne serais jamais et qui, loin de ses exploits, fut un ambassadeur à la simplicité remarquable. Au-delà de mon impression toute personnelle, je crois bien que ma fille a aimé le documentaire…
Geoffroy Blondeau
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Tabarly, un film de Pierre Marcel
France, 2008. 1h28