Festival de Géradmer 2010. Avec Denis Baron je découvre l’étonnant Amer de Hélène Cattet et Bruno Forzani, premier long-métrage du duo de réalisateurs qui nous donnera par la suite les originaux et sensuels L’étrange couleur des larmes de ton corps (2014) et Laisse bronzer les cadavres (2017). Je voulais, dix ans après cette première expérience partagée, revenir sur ce que nous avions écrit sous 10 cm de neige, vin chaud sur les genoux dans une salle bondée – eh oui, ça fait rêver – autour de ce bel hommage au Giallo dont la forme, aujourd’hui encore, interpelle fortement. Moteur !

Transcrire les émois et les turpitudes sensorielles d’une femme à trois moments clés de sa vie. Rendre hommage au Giallo et effleurer les thématiques de Dario Argento.
Créer un film à la lisière de l’expérimental et répondre aux normes du classicisme.
Se démarquer de la production actuelle des films fantastiques par un radicalisme esthétique et une sensualité hystérique.
Amer répond à tout cela en nous laissant un goût plus que sucré dans la bouche…
Amer est un premier film, une petite production portée à bout de bras par ses réalisateurs Hélène Cattet et Bruno Forzani, qui mettent tout en œuvre pour fendre la pupille et exciter le bas ventre.
Oui, Amer est un film qui n’a pas peur de travailler les sens afin d’offrir un voyage onirique dans le corps de « La » femme entre réalités, désirs et fantasmes. Bien sûr nous ne sommes ni chez Bergman ou même Fellini, puisque le traitement de ce film belge est plutôt à rapprocher du cinéma de Grandrieux ou de Lucile Hadzihalilovic dans sa manière d’aborder l’ambiguë innocence de la femme. Rien à voir donc, et tout à suggérer entre le drapé d’un linceul, des lèvres apeurées, une chaleur écrasante sur une peau moite, les crissements d’une ceinture ou de bottes en cuir. À cet égard, le travail sur le son des matières est étourdissant et s’entremêle malicieusement aux musiques intérieures de l’héroïne. L’expérimentation pointe son nez à chaque plan et l’univers sensoriel du film décuple sa puissance dans une bande-son travaillée à l’extrême. Esthète avez-vous dit ?
S’il est évident qu’Amer s’adresse à un public averti, il risque, pour les mêmes raisons, de se le mettre à dos. Minutieux, complexe, n’ayant que faire d’une trame linéaire et d’une image par trop lisible, le film plonge dans l’image par delà l’image, au même titre que les Frères Quay ou Patrick Bokanowsky. Ainsi se livrent dans la frénésie de superposition d’images au syncrétisme débordant, les allégories plasmatiques d’une myriade de gouttes d’eau en macro, la diffraction de la lentille mécanique symbolisant l’orgasme comme la mort de la mère, la surexposition de la lumière du jour exposant l’héroïne à la libido masculine. Excepté un troisième acte un peu vain, le film conserve cet équilibre entre frustration et déferlement des plaisirs sous l’égide d’une imagerie très travaillée pour un premier film.
Tout s’effleure, se palpe, s’inhale, Ana scrutant ce qui se trame derrière la porte en bas de l’escalier ou dans la chambre voisine. Occasion de regarder par le trou de la serrure… et de convoquer Powell, Buñuel, Argento.
Amer est un film sur le désir dans cette folie rugissante quand la frustration devient reine.
À moins qu’il ne soit qu’une projection fantasmatique quand le plaisir régit toute une existence. À moins que sa saveur épicée ne soit trop forte et que l’amertume dégagée se dépose sur nos palais engourdis pour notre plus grand plaisir.
Le fiel a ses atouts et la saveur ses déplaisirs.
Denis Baron & Geoffroy Blondeau
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Amer, un film de Hélène Cattet et Bruno Forzani
France. 2010. 1h30