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Ponyo sur la falaise : Conte écolo éblouissant…

Ponyo sur la falaise est un long-métrage un peu à part dans l’univers de Miyazaki car il opère un transfert de perspective par choix géographique où le jaillissement nous enveloppe sans crier gare. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il me plaît de chroniquer le 10ème film du maître nippon.

© Nippon Television Network / Dentsu / Toho / Hakuhodo

Œuvre d’une richesse incroyable au style pourtant très épuré, Ponyo sur la falaise n’en est pas moins magique d’un point de vue émotionnel. Contre-pied esthétique aux derniers chefs-d’œuvre précédents, le film distille avec grâce ses décors pastel, son animation en 2D d’un autre temps et sa trame en forme de conte où, filiation oblige, l’harmonie entre l’homme et la nature est abordée. Si le spectacle semble moins flamboyant que dans Princesse Mononoke ou encore le Voyage de Chihiro, le charme opère à chaque bobine tant l’ouvrage respire la sincérité, l’évasion, l’émotion, le tout servi par une beauté graphique indéniable.

Comme à son habitude le cinéaste prend le temps de développer son histoire. Celle-ci, librement adaptée de la Petite sirène d’Andersen, nous raconte la rencontre entre une petite fille poisson dit Ponyo et un petit garçon de cinq ans, Sosuke, vivant avec sa mère Lisa dans une maison haut perchée sur la falaise d’une ville insulaire. À la suite d’un ballet aquatique introductif d’une beauté envoûtante avec ses myriades de poissons multicolores, Ponyo quitte le sous-marin de son père Fujimoto – sorcier autrefois humain qui ne veut pas que sa fille entre en contact avec le monde des Hommes – pour s’aventurer à travers les fonds marins. Prise dans un filet de chalutier, elle sera piégée dans un pot de confiture et échouera non loin de l’endroit où joue le jeune Sosuke. Celui-ci récupérera le pot, mettra Ponyo dans un seau tout en lui promettant de s’occuper d’elle pour toujours. Émue, Ponyo s’éprendra de son sauveur et n’aspirera plus qu’à une seule chose : devenir une petite fille pour être au côté de Sosuke.

C’est à partir de cette base narrative assez simple que Miyazaki développe les enjeux d’une histoire d’amour ayant pour environnement le monde aquatique. Pour la première fois chez le cinéaste, l’eau remplace le vent et la mer se substitue au ciel. Cette dimension géographique nouvelle loin de réduire l’imaginaire du cinéaste offre, au contraire, un champ lexical capable de rendre compte des incroyables aventures vécues par Ponyo et Sosuke. Ainsi le mystère des fonds marins, l’imminence d’un danger matérialisé par des vagues gigantesques en forme de poissons, l’osmose entre terre & mer tout comme cet incroyable renversement de perspective en fin de parcours – le village sous les eaux –, marquent de façon éclatante la capacité du cinéaste à renouveler sans cesse son cinéma, alors qu’il puise sur des thématiques maintes fois abordées depuis plus de vingt ans. Contrairement au ciel, la mer constitue une aire délimitée à même de rendre tangible l’existence de deux mondes, deux niveaux, deux consciences et, en définitive, un seul et même destin. L’interaction entre la terre et la mer, outre l’attachement du réalisateur aux questions écologiques, prend forme par l’attitude de Ponyo. C’est elle qui déclenche tout, répands l’Eau de la Vie, le rugissement des vagues et la montée des eaux. Peu importe le semblant de sécurité que lui accorde son père dans les fonds marins et peu importe la part de responsabilité des hommes dans le déséquilibre naturel. La seule certitude pour Ponyo se trouve à la surface des eaux dans le monde des hommes en la personne de Sosuke.

© Nippon Television Network / Dentsu / Toho / Hakuhodo

Essence d’un cinéma plus animiste que croyant, les histoires développées par Miyazaki soulignent à l’évidence le caractère anti-manichéen des personnages chers au cinéaste. Si l’homme est sans nul doute responsable de ce qui lui arrive, son amour (homme/femme, mère/fils), sa générosité (importance des relations transgénérationnelles (scènes qui ont lieu dans la maison de retraite, entraides après l’inondation), sa capacité d’inventivité et son aptitude à la compréhension sont les remèdes au désespoir qui nous tiraillent.

Ainsi, il en va de même pour le père de Ponyo, personnage plus égoïste que foncièrement mauvais. Conscient des dangers encourus par Ponyo et le monde marin dans lequel il vit désormais, celui-ci agit uniquement pour se protéger et protéger les siens. Comme à son habitude, le cinéaste tisse un canevas classique en mêlant évènement extérieur déclencheur, rencontre, amitié / amour, séparation, lutte, bouleversement, retrouvailles, dans lequel chaque personnage tient un rôle déterminant à même de faire avancer une histoire dont les enjeux ne peuvent se résoudre isolément. Toutes ces dimensions font de Ponyo sur la falaise un conte pour enfant capable d’embarquer l’adulte vers les mêmes inquiétudes et les mêmes espoirs d’un réalisateur pourtant âgé de 67 ans lorsqu’il réalisa le long-métrage.

Pour faire vivre avec autant d’intensité cet hymne à l’amour et à la liberté, Miyazaki construit un « lieu » où l’enfance est le fondement de tout chose. L’extrême jeunesse des deux protagonistes n’est pas un choix innocent et, à l’instar de Mon voisin Totoro, il nous propose ce regard neuf, pur et sincère à l’aune d’un monde en détresse, certes, mais encore nourri de vie et d’espérance. Afin de restituer le plus naturellement possible l’univers perçu par les deux enfants, le cinéaste réinvestit l’animation classique en 2D entièrement dessinée à la main. Ce coup de crayon « artisanal » affiche des traits ronds, lisses et simples dans une sensibilité chaude capable de donner vie à un univers d’humeur changeante – des hommes aux éléments naturels –.

L’histoire de ce conte animé développe une magie des instants. Le monde décrit est tour à tour paisible, rayonnant, dangereux, déchaîné, calme, passionné, drôle, mais aussi dominé par l’imminence de l’action. Nos deux amoureux en culottes courtes motivent une histoire en apparence plus simpliste que d’habitude, car conditionnée par la quotidienneté d’une vie d’un enfant de cinq ans. Miyazaki saisit l’occasion pour restituer un univers sans filtre, sans code, sans mensonge, ni trahison. Soit la transposition romancée de ce que « perçoivent » les enfants dans un monde d’adulte en proie à de grands bouleversements. Dans ce cadre, la petite Ponyo, merveilleuse de spontanéité et de drôlerie, symbolise le triomphe de l’amour sur la peur et de la vie sur la mort. Cette dualité constitue la trame « adulte » d’un dessin animé réalisé sous l’angle du regard. Celui de l’enfance, avec Ponyo et Sosuke. Celui des adultes, avec Lisa, Fujimoto et les grands-mères de la maison de retraite. Chaque scène se construit alors en référence à cet équilibre précaire, mais ô combien nécessaire. La pandémie actuelle nous le rappelle malheureusement chaque jour.

La course folle de Ponyo sur les vagues déchaînées, d’une construction ahurissante, trace cette fameuse ligne de fracture que notre petite fille poisson franchira par amour.

Si Hayao Miyazaki n’oublie pas les vrais problèmes (catastrophe naturelle, responsabilité écologique, importance de l’écoute et de l’entraide…), il achève son conte dans le désordre d’un monde aux frontières bouleversées, mais prêt à recevoir l’accomplissement d’un destin. Ponyo sur la falaise prouve une nouvelle fois que le réalisateur japonais est certainement l’un des plus grands conteurs de notre temps.

Geoffroy Blondeau

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Ponyo sur la falaise, un film de Hayao Miyazaki

Japon. 2009. 1h41

 

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