Dire de la France qu’elle aime Tarantino est un euphémisme puisque chacun de ses nouveaux films est attendu comme le Messie qui engueule ses ouailles pas assez avinées et trop politiquement correctes. Alors, quid de son dernier opus ?

Qu’il s’agit d’une somme en forme d’énormité filmique sans fioritures plus proche de la synthèse d’un cinéma référentiel à son propre cinéma, qu’à l’échappée novatrice dont on était en droit d’attendre. Néanmoins, Tarantino ne se cache pas uniquement derrière un ton ou un style reconnaissable entre mille et construit une parabole verbeuse – donc très longue – selon un cadre précis – le huis clos –, en forme de lieu-spectacle de passage (une mercerie) où les tensions d’un pays tout entier (l’Amérique) se retrouvent claquemurées par sa représentation westernienne faite de gueules improbables dont le bad boy d’Hollywood a le secret.
Les Huit Salopards se savoure donc dans son étirement narratif par une pincée de western, par la présence de l’acteur fétiche Samuel L. Jackson en tête d’affiche et une durée de près de trois heures. Rien de bien neuf. Sauf que… Kurt Russell, Michael Madsen, Tim Roth et Jennifer Jason Leigh complètent le casting. Autant dire des putains d’acteurs tous plus ou moins disparus des écrans, et qui ont marqué, chacun à leur manière, le cinéma de genre ! Mention spéciale au grand Kurt, Plissken forever !, qui nous offre un rôle en or avec son personnage bourru et pas très finaud de chasseur de prime.
Ajoutez à cela un tournage en 70 mm (format rarissime prouvant une fois encore l’amour de Tarantino pour l’argentique et le cinéma) orchestré par une bande-son tétanisant du grand Ennio Morricone et vous aurez probablement entre les mains le film le plus bandant de la rentrée.

Sans vouloir déflorer les quelques surprises du film, ce huitième long-métrage pourrait se résumer à une délicate réunion de famille dans un chalet perdu au milieu de nulle part, encerclé par un blizzard faisant office de menace extérieure (hommage non dissimulé envers The Thing de Carpenter). Le spectateur, presque impatient, attend un règlement de compte en bonne et due forme, la caméra ne cessant d’arpenter chaque recoin dudit chalet comme pour mieux nous faire languir. À ce petit jeu Tarantino est passé maître…
La post modernité des dialogues (mention toute particulière à la petite gâterie) entre en résonance avec le classicisme d’une mise en situation qui voit s’affronter des individus « triés sur le volet » que tout oppose. Le cynisme sert de moteur à l’explosion en germe, vacarme sanglant d’une impossible réconciliation que le réalisateur constate autant qu’il parodie. De toute façon Tarantino joue avec nos nerfs tant et si bien qu’au bout de deux heures de film il reste difficile de savoir ce que le réalisateur aura choisi de faire subir à ses personnages.
Bien sûr le film est bavard, très bavard même, d’autant plus quand les unités de temps et de lieu sont autant réduites. Du théâtre filmé en quelque sorte, sauf que le papa de Pulp Fiction insuffle son maniérisme à chaque seconde, sachant que son intrigue à la Dix petits nègres n’a pour but qu’une explosion filmique prévue dès son origine. Le reste ou l’essentiel, c’est selon, poindra le bout de son nez après moult artifices scénaristiques et autres histoires lancées ça et là pour faire éclore celle qui deviendra le déclencheur de cette si belle danse macabre.
Et s’il a été reproché régulièrement à Tarantino sa violence cynique comme gratuite, il parvient cette fois à dépasser ce constat pour toucher à un grand guignol jubilatoire qui risque d’en surprendre plus d’un.
Tarantino est un sale gosse, foutrement doué. Ne serait-il pas l’ultime salopard ?
Denis Baron & Geoffroy Blondeau
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Les Huit salopards, un film de Quentin Tarantino
USA. 2016. 2h48